Se lancer dans le marché SMB (1) est un grand classique en SaaS B2B. Les besoins peu complexes des clients ainsi que le fort potentiel de croissance qu’offre ce marché en font un go-to-market idéal.
Mais cette adéquation ne dure qu’un temps ! Dans la majorité des cas, plus les entreprises SaaS B2B se développent, plus leur cible SMB d’origine est perçue comme une épine dans le pied. À tel point que la majorité d’entre elles finissent par délaisser ce marché passé un certain stade de maturité.
- Pourquoi les startups SaaS B2B sont-elles autant aimantées par le marché SMB lorsqu’elles se lancent et au cours de leurs premières années ?
- Pourquoi la majorité d’entre elles l’abandonnent-elles une fois devenues des scale-ups ?
Voici les questions auxquelles nous répondons dans cet article 👇
Durant ses premiers mois d’existence, l’enjeu d’une startup est d’entrer rapidement sur le marché. À la fois parce que son autonomie financière (runway) est limitée, et parce qu’il est primordial de se confronter le plus vite possible à ses futurs clients pour récolter leurs retours.
Le marché SMB est idéal à cet égard car il est plus facile d’y pénétrer avec un produit peu mature. Les SMB ont une plus grande aptitude à devenir early-adopters de nouvelles solutions (là où les entreprises structurées tendent à être plus conservatrices). Et surtout, elles ont des besoins moins poussés et se satisfont donc de solutions aux fonctionnalités moins abouties.
A contrario, s’attaquer dès le début à des cibles Mid-market et Enterprise est beaucoup moins réaliste pour une startup (même s’il existe bien entendu des contre-exemples). En raison de leurs besoins plus sophistiqués, ces prospects ont des exigences plus poussées en termes de fonctionnalités, personnalisation, intégrations, etc. Cela contraint les startups à investir lourdement dans leur produit avant même de pouvoir le commercialiser.
🔎 SSO, SCIM, SOC2, FedRAMP, PCI, journaux d’audit, système de permissions. Voici quelques exemples de termes “barbares” qui ne sont autres que des pré-requis techniques pour pouvoir prétendre signer des clients Enterprise. Pour les startups, ce sont autant de contraintes difficilement supportables qui se transforment bien souvent en deal-breakers.
Le marché SMB offre un potentiel de croissance extrêmement rapide. Pas étonnant qu’il soit prisé par de nombreuses startups dont les objectifs sont très ambitieux (bien souvent encouragées dans leurs ardeurs par les fonds de venture capital).
Les cycles de vente SMB sont généralement peu complexes : le contact avec le décideur est presque toujours immédiat et quelques points de contact suffisent pour faire aboutir la vente dans un laps de temps court. Les startups peuvent ainsi optimiser leur productivité en standardisant au maximum leur approche et en automatisant tout ou partie du parcours d’achat (en particulier la prospection).
Elles mettent ainsi en place des modèles d'acquisition no touch (ou low touch) pour convertir leurs prospects avec un minimum d’investissement humain. Grâce à cette approche “industrielle”, elles jouent pleinement l’effet de volume et acquièrent un maximum de clients en un temps record, tout en maîtrisant leurs coûts d’acquisition (CAC - customer acquisition cost).
🚀 Les startups SaaS B2B les plus performantes atteignent une croissance mensuelle de 30% au moment où elles franchissent la palier symbolique d’1m€ de revenus récurrents annuels (ARR - annual recurring revenue). En clair, elles font x17 sur un an !
Pour vous donner une idée concrète de la vélocité : avec une telle croissance, une startup qui réaliserait 100k€ d’ARR en janvier franchirait presque le palier des 2m€ en décembre de la même année.
Par opposition, les cibles plus matures (Mid-market / Enterprise) offrent rarement un effet de levier aussi important. Pour affronter la longueur et la complexité des cycles de vente, les vendeurs doivent mettre en place un modèle d’acquisition plus consommateur en ressources humaines (sales-led) et donc plus cher. Par ailleurs, adresser des cibles Mid-market / Enterprise requiert une approche sur-mesure (ABM - account based marketing et ABS - account based selling) rarement compatible avec une standardisation poussée.
Si beaucoup de startups privilégient le marché SMB lorsqu’elles se lancent, nombre d’entre elles reviennent sur leur choix en grandissant 👇
L’une des différences principales entre les SMB et les entreprises Mid-market / Enterprise est leur longévité au sein du portefeuille client. En pratique, les clients SMB “churnent” beaucoup plus rapidement. D’une part, ils sont moins stables financièrement que des entreprises établies. D’autre part, ils changent plus fréquemment de prestataire car le coût lié à un changement de solution est moins élevé.
Typologie d’entreprise (2)
Ce churn élevé est rarement un enjeu au cours des premières années d’existence d’une startup. En raison du nombre restreint de clients, l'impact en valeur absolue sur l’ARR est limité (même si réduire le churn doit toujours être un objectif !).
Mais plus le portefeuille s’étoffe, plus l'impact du churn devient problématique. Jusqu'à devenir un frein majeur à la croissance de l'entreprise. C'est ce que j’appelle le “mur du churn”.
Pour comprendre l'impact du “mur du churn”, prenons deux startups SaaS B2B :
Voici leurs caractéristiques principales :
Sur le papier, le potentiel d'acquisition de SMBCo et d’EnterpriseCo est identique :
Mais ces deux startups diffèrent sur un point, et pas des moindres : leur churn. Au sein de leur portefeuille, SMBCo et EnterpriseCo constatent chacune un churn typique de la cible qu’elles adressent.
Or cette seule différence suffit à impacter considérablement leur croissance. Après 10 ans, SMBCo peine à franchir les 16m€ d’ARR alors que EnterpriseCo en génère 3x plus (50m€). Et quand on observe leur croissance, c’est le jour et la nuit : EnterpriseCo croît de 7% / an alors que celle de SMBCo stagne (0,2% / an).
Modélisation disponible ici.
Les modèles d’acquisition SMB reposent sur un équilibre fragile : chaque client rapportant peu de chiffre d’affaires, les entreprises doivent parvenir à en acquérir en volumes très importants et à coût maîtrisé (CAC) pour que leur modèle soit viable. Si la quantité de leads diminue ou que le CAC augmente, l’équation de rentabilité est mise en péril.
Au début de la vie des startups, cette équation est rarement perçue comme problématique. Leurs besoins en leads restent encore limités comparativement à la taille de leur marché (les cibles SMB sont bien plus nombreuses que les cibles Mid-market / Enterprise). Les startups qui ont trouvé leur product-market fit parviennent donc à croître rapidement en s’appuyant sur des gisements de leads importants et rentables.
Mais plus l’entreprise grandit, plus ce modèle d’acquisition trouve ses limites. Les ex-startups devenues scale-ups doivent générer des leads en volumes toujours plus importants pour maintenir leur croissance.
De nombreuses équipes Marketing & Sales, qui n’anticipent pas suffisamment cet enjeu, foncent ainsi tout droit vers une triple problématique :
🔎 Voici un exemple concret pour illustrer à quel point le besoin en leads des startups en forte croissance explose rapidement :
NextUnicorn est une startup SaaS qui réalise 2m€ d’ARR avec 1.500 clients SMB. Son objectif (encouragé par les investisseurs) : doubler de taille tous les ans. En termes de performance, 5% des leads générés par l’équipe Marketing de NextUnicorn sont transformés par l’équipe Sales.
Voici son besoin en lead gen. à court et à moyen terme :
À moyen terme, NextUnicorn doit acquérir un nombre de clients vertigineux pour atteindre ses objectifs. L’entreprise doit repenser son modèle d’acquisition pour continuer à croître durablement.
On pense souvent que les clients SMB sont moins chers à fidéliser que les clients Mid-market / Enterprise car leurs besoins sont moins complexes. La pratique révèle toutefois une réalité bien différente : proportionnellement à leur taille, les SMB consomment plus de ressources AM, CSM et support client que les entreprises plus matures. Parce qu’elles sont moins structurées, elles ne disposent pas d’équipe IT pour intégrer la solution, ni d’équipe de déploiement, etc. Elles reposent donc beaucoup plus sur les ressources mises à disposition par leur prestataire.
Cette différence est un véritable enjeu car contrairement à des clients Mid-market / Enterprise, les clients SMB sont moins rémunérateurs (leur ACV - annual contract value est plus faible). Les startups sont ainsi contraintes d’investir massivement dans la fidélisation de leur portefeuille client sans pour autant que cela se traduise par un incrément de valeur significatif pour elles. En interne, les équipes en ont d’ailleurs bien conscience : qui n’a jamais entendu les équipes CSM se plaindre des petits clients qui “prennent trop de temps et coûtent trop chers” ? L’enjeu derrière cette réalité, c’est que si l’entreprise maîtrise mal ses coûts, son équation de rentabilité peut rapidement virer au rouge.
De fait, la majorité des entreprises SaaS B2B finissent par quitter le marché SMB au-delà d’un certain stade de maturité. À titre d’illustration, seules 12% des entreprises SaaS cotées aux Etats-Unis vendent principalement à des clients SMB (3).
Mais il existe bien entendu un certain nombre de contre-exemples d’entreprises qui ont formidablement bien réussi dans le marché SMB, y compris à (très) grande échelle.
Comment y sont-elles parvenu ?
Voici une liste non-exhaustive des tactiques qu’elles ont mis en place :
👉 Une acquisition no touch (ou low touch) peu gourmande en Sales qui s’appuie sur un parcours d’achat où les prospects évoluent en autonomie (self serve).
👉 Des leviers d’acquisition viraux pour générer au maximum de leads inbound : bouche à oreille, acquisition en ligne (SEO, content, etc).
👉 Un onboarding fluide qui requiert peu de support client (grâce à un produit bien pensé).
👉 Des mécanismes d’upsell / de cross-sell efficaces même avec des équipes AM et CSM restreintes. Coucou le product-led growth 👋
✨ Étude de cas : HubSpot CRM.
Créée en 2006, HubSpot est un superbe exemple d’une entreprise qui a réussi en plaçant les SMB au cœur de sa croissance.
Les SMB constituent la quasi-totalité de la clientèle d’HubSpot : la valeur moyenne des contrats (ACV) s’élève à 10k$ seulement.
Et pourtant, malgré une envergure mondiale, HubSpot continue de croître à un rythme très élevé. Au Q2 2022 HubSpot a réalisé 420m$ de revenus, en croissance de 37% par rapport au Q2 2021.
Quelle est la recette magique d’HubSpot ?
✔ Le marché SMB constitue un go-to-market idéal pour les startups SaaS B2B :
En comparaison, le marché Mid-market / Enterprise ne présente pas d’effet de levier aussi important. Les cycles de vente y sont plus longs, complexes et beaucoup moins standardisables.
✔ Plus une entreprise se développe, moins le marché SMB est attrayant :
✔ Il existe certes des exemples de réussites brillantes au sein du marché SMB (comme HubSpot, Slack, Atlassian, Asana, etc), mais la majorité des SaaS B2B finissent par délaisser le marché SMB passé un certain stade de développement. Leur maturité produit et business leur permet alors d’adresser des cibles Mid-market / Enterprise plus structurées pour pérenniser leur croissance.
(1) Par SMB, nous entendons les TPE / PME au sens de l’Insee :
(2) Tomasz Tunguz, Redpoint Capital
(3) Bessemer Venture Partners. Échantillon statistique : BVP Nasdaq Emerging Cloud Index.